mardi 8 mai 2012

Allocution commémoration armistice du 8 mai 1945

Cela fait la 5ème fois depuis 2008 que je me retrouve devant vous le 8 mai.

Un an est passé, déjà, et nous sommes encore une fois réunis devant ce monument pour prendre le temps de nous rappeler.

La vie est ainsi faite, les années passent, les unes après les autres, de plus en plus vite, elles nous éloignent à chaque instant un peu plus de l’enfance.

La vie est ainsi faite, elle s’accélère quand on vieillit et nous ne trouvons même plus le temps de faire ce que nous devons faire, nous n’avons même plus celui de nous souvenir.

Alors ce temps, nous le prendrons néanmoins encore une fois ce matin et nous nous arrêterons, ne serait-ce que quelques minutes, pour nous rappeler et célébrer ceux qui ont combattu et fait la fierté de notre pays, ceux qui nous permettent aujourd’hui de vivre librement.
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En 4 ans déjà, nous nous sommes souvenus de tous les maux les plus terribles, de tous les actes les plus ignobles, de tous ces évènements qui ont fait de la seconde guerre mondiale la plus grande tragédie de notre Histoire.

En 4 ans, je vous ai parlé des choses qui me touchent directement et qui font que cette guerre a une place toute particulière en moi.

En 4 ans, je vous ai parlé de ces soldats, morts loin de leur pays, débarquant sur les plages de Normandie, tués en Afrique du Nord et se battant uniquement pour la liberté.


En 4 ans, je vous ai parlé de ces gens ordinaires, les « Juste parmi les nations », qui n’hésitèrent jamais au péril de leur vie à cacher des juifs pour leur éviter la déportation et la mort.

En 4 ans, je vous ai parlé de la petite Marie, victime de la rafle du Vel d’Hiv et qui écrivait avec ses mots d’enfants à son père en pensant qu’elle allait le retrouver. Je vous ai parlé de la petite Marie, morte un matin gazée à Auschwitz.

En 4 ans, je vous ai parlé de l’histoire monstrueuse de Babi Yar, le lieu où l’humanité s’est arrêtée, pendant deux jours en septembre 1941, juste au sommet d’un ravin.

Et aujourd’hui, alors que Raymond Aubrac vient de nous quitter, je tenais en ce 8 mai 2012, prendre le temps de célébrer, ceux qui à la différence des bourreaux, des collaborateurs et des assassins, étaient la fierté et l’honneur de la France.

Je veux rendre hommage avec vous, avec tous ces enfants, avec Léna, Ludivine, Pierre, Benjamin, Tom et Cécile, aux résistants français.

Ils ont permis à notre pays de sortir de cette guerre, malgré la compromission et le déshonneur du gouvernement français, la tête un peu plus haute.
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Ces résistants ont su, aux heures les plus sombres de notre histoire, alors que tout semblait perdu et que fermer les yeux était la facilité, dire simplement « non », « non » à l’oppression, « non » à l’injustice, « non » à la barbarie car baisser les bras ne ressemblait pas à ce que la France incarnait pour eux.

Ils sont là parmi nous ce matin, nous devons ressentir leur présence et raconter leur histoire. Nous raconterons le triste destin que beaucoup d’entre eux ont subi.

La prison, la torture par la Gestapo, l’exécution par fusillade ou décapitation ou la déportation dans les camps de concentration nazis étaient souvent le terme de leur action, le terme de leur vie.

Nous parlerons du camp de Souge en Gironde, du stand de tir de Balard et surtout du Mont-Valérien à Paris qui voient les exécutions d’innombrables d’entre eux.

Et nous parlerons du Fort Montluc à Lyon dans lequel tant de résistants furent internés avant leur exécution ou leur déportation.

Nous parlerons de ces femmes, si importantes dans l’organisation de la résistance et qui étaient, quant à elles, transférées plutôt en Allemagne pour y être décapitées.

Nous parlerons d’Olga Bancic, arrêtée par les Brigades Spéciales à Paris et décapitée à la prison de Stuttgart, le 10 mai 1944, elle avait trente-deux ans et d’Emilienne Mopty, membre du réseau Charles Debargen, arrêtée en septembre 1942 et décapitée elle aussi dans la cour de la prison de Cologne le 18 janvier 1943.

Nous devrons raconter l’histoire de chacune d’entre elle, de chacun d’entre eux pour que personne n’oublie ce qu’est le don de soi et le combat pour des valeurs.

Nous ne devrons rien omettre, nous devrons expliquer comment ils se sont battus et comment ils sont morts. Nous ne devons jamais les oublier.
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Nous parlerons des résistants classés Nacht und Nebel par les nazis, les 102 militants du réseau Alliance gazés dans la nuit du 1 au 2 septembre 1944 au camp de Struthof.

Nous parlerons de tous ceux qui préférèrent se suicider pour ne pas parler sous la torture. Nous citerons Fred Scamaroni, responsable du réseau Action R2 Corse et qui se suicida dans sa cellule pour ne rien révéler, Berty Albrecht, qui se donna la mort par pendaison en 1943, Jacques Bingen, compagnon de la libération qui arrêté par la Gestapo, préfèrera se suicider lui aussi pour conserver ses secrets et Pierre Brossolette, compagnon de la libération qui torturé pendant plus de 2 jours, se jeta du 4ème étage pour ne rien dévoiler Nous parlerons de tous ceux qui furent exécutés sans rien dire.

Nous citerons Pierre Griffi qui, devant le peloton d’exécution, hurla « Je meurs en soldat français ! » et Jean Nicoli qui écrivit à ses enfants sur un paquet de cigarettes avant qu’on vienne le chercher pour le tuer « Ne pleurez-pas, souriez-moi. Soyez fier de votre papa. ».

Nous parlerons de tous ceux qui moururent les armes à la main lors des durs combats du maquis. Nous citerons l'écrivain Jean Prévost dans le Vercors et Bernard Amiot dans le Gers.

Nous parlerons de tous ces enfants, d’à peine 15 ans, qui furent exécutés sans état d’âme, certaines fois sans raison et qui, au moment même de mourir, ne ressentaient même pas de haine pour leur ennemi mais une formidable espérance dans leur action et dans l’avenir.

Nous parlerons bien sur de Guy Moquet, comment ne pas le citer ce matin, qui, la veille de sa mort, demandait simplement « Ma petite Maman chérie soit courageuse. ».

Et bien sur, nous parlerons des 35 fusillés de la Cascade du Bois de Boulogne. Nous nous recueillerons devant ce chêne qui porte encore les traces des balles les ayant tués.

Nous parlerons des 5 martyrs du Lycée Buffon, morts à 17 ans et jetés dans une fosse commune après avoir été fusillés. Morts pour rien, ils écrivaient simplement à l’aube de leur mort avec une force et une telle espérance à leurs proches.

Jean Arthus à son fils : « J'espère que tu es assez fort et que tu sauras continuer à vivre en gardant confiance en l'avenir. ».

Pierre Benoit à ses parents : « La vie sera belle. Nous partons en chantant. ».

Pierre Grolet à ses parents : « Pauvres parents chéris, sachez que ma dernière pensée sera pour vous, je saurai mourir en Français. ».

Lucien Legros à ses parents : « Nous allons mourir le sourire aux lèvres, car c'est pour le plus bel idéal. ».

Jacques Baudry à ses parents : « Mes pauvres parents chéris, j’ai eu la chance de savoir, avant de mourir, que vous étiez courageux. La guerre sera bientôt finie. »

Quel courage à à peine 20 ans !
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Et puis nous terminerons bien évidemment en parlant de Jean Moulin et de Raymond Aubrac et de leur arrestation à Calluire. Nous sommes le 21 juin 1943, funeste journée qui changea l’histoire de la Résistance, il est 15 heures environ, une quinzaine d’hommes de la Gestapo commandés par Klaus Barbie encerclent la maison du Docteur Dugoujon à Calluire à l’intérieur de laquelle se tient une réunion clandestine de la résistance organisée par Jean Moulin pour unifier les mouvements de la résistance.

Sept résistants sont arrêtés avec la brutalité qu’on peut imaginer et transférés à la prison Montluc de Lyon. Jean Moulin, l’homme qui ne parlera pas, même sous la torture, meurt, des suites des horribles sévices infligés par la Gestapo, lors de son transfert qui le conduisait vers Berlin et les camps de concentration.

Raymond Aubrac et Jean Moulin se croisèrent une dernière fois dans la prison de Lyon. Ils ne se regardèrent pas, ils ne prononcèrent aucun mot, cela était inutile puisqu’au milieu du silence assourdissant, on pouvait alors entendre hurler la France.

Raymond Aubrac est mort le 11 avril, il était l’un des derniers de nos grands résistants. C’est pour lui également que nous leur rendons hommage ce matin.
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Alors, Léna, Tom, Cécile, ces résistants expliquent d’où vous venez et comment vous devez construire votre vie.

Léna, Tom, Cécile, ces résistants doivent être un exemple pour chacun d’entre vous. Ils étaient jeunes, ils sont morts injustement mais ce qu’ils incarnaient était invincible.

Comme eux et au cours de votre vie, vous devrez refuser la soumission, l’injustice et la fatalité. Vous ne devrez jamais baisser la tête, vous n’accepterez jamais le déshonneur, vous ignorerez la lâcheté.

Camille, tu as entre tes mains tout pour décider, avancer, libre et convaincue, tu es la seule à faire tes choix, à construire ton destin. Tu devras te battre quand tout te semblera perdu, quand tu n’auras plus de force, car tu n’oublieras jamais qui tu devras être.

Léna, Tom, Cécile, le cri de la liberté poussé par ces résistants, nous devons l’entendre encore et le transmettre d’année en année, de génération en génération, ce cri est en nous, ils sont notre Histoire.

Léna, Tom, Cécile, vous devez comprendre que la liberté qui est la votre aujourd’hui a été possible parce que des sacrifices ont été consentis par d’autres, des héros anonymes, dont les livres d’histoire ne parlent peut-être même plus, mais qui représentent ce qu’est la grandeur d’un homme et celle de notre pays.

Léna, Tom, Cécile, soyez fiers de ces résistants, soyez fiers de vos ainés, ils ont tant donné, soyez fiers de la France au nom de laquelle ils sont morts.

Léna, Tom, Cécile, aimez la France parce que c'est votre pays et parce que c’est le plus bel hommage que vous pourrez leur rendre.

Léna, Tom, Cécile, aimez simplement la France comme jusqu’au bout ils l’ont aimée.