vendredi 10 mai 2013

Allocution commémoration armistice du 8 mai 1945


Il y 5 ans, je quittais la Mairie pour ma première commémoration de l’armistice du 8 mai 1945 et il faisait beau. 

Et ce matin, je me souviens de tout, de la descente vers le village, du parcours pour arriver jusqu’à vous, de l’émotion quand j’avais vu les enfants réunis, de la lecture de mon premier discours avec Léa à mes côtés. 

Je me souviens en fait de chacune de ces commémorations car la seconde guerre mondiale fut la plus grande tragédie de notre humanité, celle qui n’est pas possible d’oublier, celle que nous devons continuer de raconter. 

Et aujourd’hui, en 2013, c’est avec une réelle émotion que je vous lis pour cette commémoration la dernière allocution de mon mandat. 

En la préparant, j’ai relu celles que j’avais déjà écrites et tout est remonté, en un instant, comme lorsqu’on ferme un livre et qu’on se souvient alors des moments les plus importants et des chapitres qui l’ont composé.  

J’aurai voulu relire chacune d’entre elles ce matin, elles sont une partie de moi, elles sont encore si vraies, j’y avais mis toute ma force. 

Souvenons-nous et apprenons ce matin encore pour ne rien oublier, nous en n’avons pas le droit. 
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Depuis 2008, je vous ai raconté ces bourreaux, ces traîtres et ces collaborateurs. 

Souvenons-nous que même si la vraie France n’était pas à Vichy, ne collaborait pas, ne dénonçait pas, ne torturait pas, certains ont incarné la France du déshonneur. 

Souvenons-nous de l’histoire de ces collaborateurs qui envoyèrent des familles, des enfants, des innocents vers la mort. 

Souvenons-nous de Maurice Papon et de Charles Spinasse.

Souvenons-nous de l’histoire des militaires et des hommes politiques français qui ouvrirent leurs bras aux allemands en adhérant à l’idéologie nazie et offrirent ainsi la France à Hitler.



Souvenons-nous de Pierre Laval, de Joseph Darnand et de Philippe Pétain.
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Depuis 2008, je vous ai raconté ces soldats venus du monde entier, serrés dans ces barges, courant sur les plages de Normandie, se battant dans les Ardennes et morts loin de leur pays. 

Apprenons du Major Richard D. Winters et du Capitaine Ronald Speirs. 

Depuis 2008, je vous ai parlé de ces soldats français humiliés, partis si précipitamment de France et revenant après plusieurs années pour libérer leur pays et retrouver la fierté d’être français. 

Apprenons de ces soldats qui refusèrent la fatalité de la défaite et de l’occupation, continuèrent à se battre et permirent à la France de retrouver son rang et son honneur une fois la Guerre terminée. 

Apprenons du Général de Gaulle qui, en refusant d’accepter ce qui semblait inéluctable, redonna en un instant, en un discours, l’espoir à tout un peuple.

Apprenons de Philippe Kieffer, premier soldat touchant le sol de France, ce matin de juin 1944. Avec son commando, il hurlait au monde, l’armée française est de retour sur le sol de France. 

Apprenons de Jacques-Philippe Leclerc, commandant de la 2ème DB qui se battit dans le désert d’Afrique, en Normandie puis en Europe.
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Depuis 2008, je vous ai raconté ces résistants, ces exemples pour chacun d’entre nous. Ils sont morts injustement, privés de leur vie encore si jeunes, ils avaient au fond d’eux la force des héros. 

Depuis 2008, je vous ai expliqué leur combat, leur refus de la soumission, le rejet de l’injustice et de la fatalité.

Ils ne baissaient pas la tête devant l’ennemi, n’acceptaient jamais le déshonneur et ignoraient la lâcheté. Ils avançaient libres, convaincus, conscients des difficultés et sûr de leur destin. 

Depuis 2008, je vous ai raconté l’histoire de nombreux résistants en expliquant comment ils se sont battus et comment ils sont morts et cela pour ne jamais les oublier.

Apprenons de ces femmes de la résistance : Renée Levy, décapitée à la hache, à la prison de Cologne le 31 août 1943 et qui déclara à ses bourreaux : « Je suis Française et j'ai bien fait de servir mon pays. Je regrette seulement de n'avoir pas pu en faire davantage. » et France Bloch, décapitée, à la prison d’Hambourg le 12 février 1943 et qui écrivit à quelques heures de sa mort : « Ce soir, je vais mourir ; à 9 heures, on m'exécutera. Je n'ai pas peur de quitter la vie, je ne veux seulement pas attacher ma pensée sur la douleur atroce que cela m'est de vous quitter tous, mes amis. ».

Apprenons de ceux qui se suicidèrent pour ne pas risquer de parler sous la torture : Fred Scamaroni, responsable du réseau Action R2 Corse, il se suicida dans sa cellule et Pierre Brossolette, compagnon de la libération qui torturé pendant plus de 2 jours, se jeta du 4ème étage pour ne rien dévoiler.

Apprenons de ceux qui furent exécutés sans dévoiler le moindre de leurs secrets : Pierre Griffi qui hurla devant le peloton d’exécution « Je meurs en soldat français ! » et Jean Nicoli qui écrivit à ses enfants avant qu’on vienne le chercher pour le tuer « Ne pleurez-pas, souriez-moi. Soyez fier de votre papa. ».

Apprenons de tous ces jeunes hommes, de tous ces enfants, morts pour la France en brandissant une formidable espérance dans l’avenir : les 35 fusillés de la Cascade du Bois de Boulogne, les 5 martyrs du lycée Buffon et Jacques Baudry écrivant à ses parents : « Mes pauvres parents chéris, j’ai eu la chance de savoir, avant de mourir, que vous étiez courageux. La guerre sera bientôt finie. » ; et bien évidemment comment ne pas citer une dernière fois ce matin Guy Mocquet, demandant simplement à sa mère la veille de sa mort « Ma petite Maman chérie soit courageuse ».

Apprenons également aux côtés des résistants, des « Justes parmi les nations » qui refusèrent l’ignominie en cachant des juifs au péril de leur vie, en les sauvant d’une déportation certaine, en tentant de leur faire oublier l’horreur de ces moments. 

Apprenons de Germaine Ribière qui créa l’Amitié Chrétienne en 1941 pour aider les juifs soumis aux décrets de Vichy et du Père Marie-Benoît, surnommé le père des juifs, qui aida des centaines d’entre eux à gagner la Suisse et l’Espagne.
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Depuis 2008, je vous ai parlé des 6 millions de morts dont 1.5 millions d’enfants victimes du seul génocide industrialisé de l’Histoire.

Souvenons-nous des unités mobiles de tuerie qui précédèrent la mise en œuvre des camps de la mort.

Souvenons-nous des massacres perpétués à l’Est de l’Europe.

Souvenons de celui de Liepāja où 2.749 juifs furent tués sur une plage, les femmes et les enfants forcés de se mettre en sous-vêtements étaient pris en photos par leurs bourreaux nazis. Nous étions le 15 décembre 1941.

Souvenons-nous de l’opération dite de la « Fête des Moissons » et des massacres de Trawniki, Poniatowa et Lublin avec plus de 40.000 juifs exterminés en 2 jours d’une balle dans la tête.

Souvenons-nous également de la rafle du Vel d’Hiv et des 8.000 adultes et 4.000 enfants regroupés dans des conditions épouvantables à l’intérieur du Vélodrome d'Hiver dans l’attente d’être transportés vers les camps de concentration.

Souvenons-nous une dernière fois de Marie, petite fille plein d’espérance et qui du haut de ses 10 ans, écrivait à son père durant le trajet en pensant le revoir un jour.

Souvenons-nous de la petite Marie qui se préparait à fêter son 11ème anniversaire et qui fut exécutée, le 23 septembre 1942, gazée un matin à Auschwitz.

En préparant ce discours, je voyais ma fille de 10 ans et je me suis souvent demandé ce qu’avait pensé Marie en pénétrant dans la douche qui la condamnait. J’espère de tout cœur qu’elle conservait encore ses rêves d’enfants pour ne s’apercevoir de rien et qu’elle s’était juste dit qu’elle allait être propre et sentir bon.
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Et puis depuis 2008, il y eu l’évocation de Baby Yar et 2 jours de septembre 1941, lorsque l’humanité toute entière a basculé dans l’horreur absolue avant de s’arrêter, au sommet d’un ravin.

Je voulais terminer par cette histoire car si vous ne reteniez qu’une chose ce matin, qu’une chose depuis 2008, je souhaiterai que ce soit celle-ci, vous pourrez alors la raconter aux plus réticents, aux plus perplexes, à ceux qui ne comprennent toujours pas l’importance d’être réunis ce matin.

Souvenons-nous de l’extrait du livre de Laurent Binet, HHhH pour en français, le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich.

Souvenons-nous encore une fois Baby Yar, je vous en parlais en 2011 : « Babi Yar était un immense dénivelé naturel situé à la périphérie de Kiev. Lorsque j’ai voulu m’y rendre, le chauffeur de taxi qui m’y conduisait a tenu à me montrer jusqu’où, à l’époque, s’étendait Babi Yar. Il m’a mené à une espèce de fossé boisé, où, m’a-t-il expliqué, l’on jetait les corps qui dévalaient du talus. Entre 1941 et 1943, les nazis ont fait de ce fossé ce qui est probablement le plus grand charnier de toute l’histoire de l’humanité : comme l’indique la plaque commémorative, ici ont péri plus de cent mille personnes, victimes du fascisme. Plus d’un tiers ont été exécutées en moins de quarante-huit heures. Ce matin de septembre 1941, les Juifs de Kiev se rendirent par milliers au lieu de rassemblement où ils avaient été convoqués, avec leurs petites affaires, résignés à être déportés, sans se douter du sort que l’Allemand leur réservait. Ils comprirent tous trop tard, certains dès leur arrivée, d’autres seulement au bord de la fosse. Entre ces deux moments, la procédure était expéditive : les Juifs remettaient leurs valises, leurs objets de valeur, et leurs papiers d’identité, qui étaient déchirés devant eux. Puis ils devaient passer entre deux rangés de SS sous une pluie de coups. Si un Juif tombait, ils lâchaient les chiens sur lui, ou ils étaient piétinés par une foule affolée. Au sortir de ce couloir infernal, débouchant sur un terrain vague, les Juifs éberlués étaient sommés de se déshabiller entièrement, puis étaient conduits complètement nus au bord d’un fossé gigantesque. Là, les plus obtus ou les plus optimistes devaient laisser toute espérance. L’absolue terreur qui les envahissait à cet instant précis les faisait hurler. Au fond du fossé s’empilaient les cadavres. Mais l’histoire de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants ne s’arrête pas tout à fait au bord de cet abîme. En effet, dans un souci d’efficacité très allemand, les SS, avant de les abattre, faisait d’abord descendre leurs victimes au fond de la fosse, où les attendait un entasseur. Il menait chaque Juif sur un tas de corps, et lorsqu’il lui avait trouvé une place, le faisait étendre sur le ventre, vivant nu allongé sur des cadavres nus. Puis un tireur, marchant sur les morts, abattait les vivants d’une balle dans la nuque. Le 2 octobre 1941, l’Einsatzgruppe en charge de Babi Yar pouvait consigner dans son rapport : « Le Sonderkommando 4a a exécuté 33.771 Juifs à Kiev, les 29 et 30 septembre 1941. »
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Depuis le 8 mai 2008, vous m’avez entendu parler de tous ces événements, de tous ces soldats, de tous ces résistants, de tous ces bourreaux, de tous ces collaborateurs.

Depuis le 8 mai 2008, vous m’avez entendu parler de l’horreur, de l’ignominie, de la honte mais vous m’avez surtout écouté vous parler de la fierté, du combat, de l’honneur, de la liberté.

Depuis le 8 mai 2008, j’ai voulu expliquer tout ce qui avait constitué la seconde guerre mondiale et fait de celle-ci le plus grand drame de notre Histoire.

Et depuis le 8 mai 2008, vous m’avez vu entouré de Léa, Lucie, Aimie, Léna, Tom, Cécile et de tant d’autres enfants.

C’est pour eux que nous devons continuer à ne jamais oublier car la mémoire est notre seul instrument, la seule garante de paix, leur seul salut.

C’est pour eux que nous devons transmettre cette Histoire, cela pour qu’ils puissent à leur tour la transmettre à leurs enfants.

Aussi longtemps que cela sera possible, nous devrons nous retrouver chaque matin du 8 mai pour leur expliquer qu’il peut suffire de la folie d’un homme pour plonger l’humanité dans le plus grand des chaos, que certaines idéologies peuvent entraîner l’horreur absolue, qu’ils doivent rester vigilants à tout prix.

Certaines choses ne peuvent pas être oubliées, certains événements ne doivent pas l’être. Nous n’en avons pas le droit. C’est notre devoir.