mercredi 11 novembre 2015

Allocution commémoration armistice du 11 novembre 2015

C’est la 8ème fois depuis 2008 que j’ai l’honneur d’être avec vous, en ce 11 novembre, devant ce monument aux morts, pour célébrer la fin de la première guerre mondiale.
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C’est la 8ème fois que je vous raconte la clairière de Rethondes, ce moment où à cinq heures du matin, le maréchal Foch signa l’armistice qui mit fin à ce conflit et donna naissance à l’un des bilans les plus terribles de notre Histoire : 65 millions d’hommes mobilisés, 8 millions et demi de morts, 21 millions de blessés, 4 millions de veuves et 8 millions d’orphelins. 

C’est la 8ème fois que je cite le courage, la fierté, la bravoure. C’est la 8ème fois que je vous parle des exécutions sommaires, du refus d’obéir de tant de soldats, des fautes morales de l’armée française.

C’est la 8ème fois que je raconte ces moments irréels, ces combats improbables, ces centaines de soldats morts en une minute.

C’est la 8ème fois que je vous parle des mutilations, des destructions et de la haine de l’autre.

C’est la 8ème fois enfin que je cite ces soldats meurtris, ceux qui sortis de la guerre imploraient que ces horreurs ne se reproduisent pas. 

Et cette année, je ne me suis pas interrogé sur ce que j’allais vous dire, je n’ai pas eu à rechercher une histoire particulière, je ne pas ouvert la moindre archive de cette grande guerre.
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Cette journée s’inscrit en effet dans les commémorations du centenaire, celles initiées l’année dernière et qui se poursuivront pendant 3 ans encore.

Nous sommes le 11 novembre 2015, nous continuons de nous rapprocher du moment où nous fermerons le livre de cette guerre.

Nous continuons notre voyage dans le passé et nous évoquons aujourd’hui le second chapitre, celui de l’année 1915, l’année de la boue et du sang.
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1915 marque ainsi la fin de la guerre en mouvement et le début de la guerre de position.

Les champs de bataille ont désormais laissé la place à des tranchées séparées par du vide à l’exception des fils de fer barbelés.

Ces tranchées sont la mort, celle qui est omniprésente, celle qui touche l’un de vos amis un matin, celle qui décime votre compagnie en un instant, celle qui ruine en une seconde tout projet d’avenir.

Les plantations de croix blanches bien alignées dans les cimetières de l’Aisne et de la Marne ne sont qu’une mise en scène du souvenir car la réalité est différente.

C’est souvent une mort sans sépulture pour ceux qui tombent en 1915, c’est-à-dire 370.000 français. 

La réalité, c’est être pulvérisé par un obus, être enterré vivant puis agoniser et pourrir seul sans que personne ne puisse venir ou chercher à vous retrouver après une attaque avortée.

Dans une tranchée, la mort ne sera jamais naturelle, elle est juste normale. « La guerre de tranchées » n’est qu’un mot, qu’un terme, qu’une figure de style qui permet de dissimuler la réalité. 

Un poilu relatait alors : « On marche sur des cadavres, on a fait des parapets de cadavres sur lesquels on s’appuie, je ne ressens aucune impression à la vue de tous ces cadavres. Je les côtoie, je les foule, je les touche sans la moindre impression pénible. ».
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Les rêves de victoire et les idéaux de 1914 sont déjà si loin :  « Nous partions heureux de nous battre contre la barbarie, nous nous rendions compte quelques mois plus tard que tout cela n’avait aucun sens. La barbarie que nous combattions était celle que nous vivions chaque seconde, au fil des attaques, au fil des massacres, au fil de nos désespoirs. La barbarie n’était pas l’Allemand en réalité, la barbarie était la guerre elle-même, elle était en nous. ».

A l’arrière, d’aucuns ne comprennent pas que la vaste offensive ne se termine pas en quelques semaines.

D’autres remettent même en cause la bravoure, la force et le courage de ces soldats mais personne n’est avec eux, à leur place, pour vivre alors ce qu’ils endurent.

Tenir une tranchée, c'est resté nuit et jour dans la boue, le froid, au milieu de la vermine, des rats engraissés de chair humaine et des poux gavés de sang de soldats.

L’année 1915 est alors celle de quelques bilans effrayants. 112.000 hommes tombés en Artois pour une avancée du front de 4 kilomètres et, en Champagne, 182.000 victimes pour un gain de 5 kilomètres, soit 36 poilus sacrifiés par mètre gagné !
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Mais au moment où je prononce ces mots ou je cite ces chiffres, je sais déjà que certains pensent à autre chose, en attendant la fin de mes propos, en regardant le temps passer, tout cela est si loin aujourd’hui.

Le temps qui continue fait ainsi son œuvre, année après année, en nous éloignant un peu plus de ce conflit.

Les informations données chaque 11 novembre deviennent de plus en plus impalpables et même irréelles pour beaucoup d’entre nous.

Tout cela a été tellement répété, tellement récité, tellement raconté, que cette histoire, ces chiffres, ce bilan, paraissent soudainement un peu désuet.
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Bien sûr, nous ne pouvons pas toujours vivre accroché à notre passé et il est alors normal que l’émotion disparaisse chaque année un peu plus.

Mais le temps ne peut pas tout expliquer, nous ne pouvons pas être si ému aujourd’hui par la mort d’un unique soldat français sur un champ de bataille dans un pays du Monde et ne pas ressentir la moindre émotion lorsque nous évoquons plus de 8 millions de morts.

Le temps parvient ainsi à nous laisser croire que les morts de 1915 ne sont pas les mêmes que ceux de 2015, que leurs rêves n’étaient pas aussi grands que les nôtres, que l’amour qu’ils portaient à leur compagne et leurs enfants n’avait pas la même grandeur, que leur douleur était moins forte, que leur souffrance moins importante.

Alors, nous avons souhaité aller au-delà des images et des mots, nous avons souhaité vous les montrer simplement, nous avons voulu que chacun prenne conscience qu’il n’y avait aucune différence.

Ces soldats, ces enfants, ces amoureux étaient les mêmes qu’aujourd’hui, cela ne fait que 100 ans en fait, c’était hier, presque rien.
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Ce matin la force de l’image renforce ainsi celle des mots au travers de la participation à cette commémoration des membres des deux associations « Histoire et passion » et « France 40 » au travers de sa section « 1914 - 1918 ».

Je les remercie très sincèrement et très personnellement pour leur présence à nos côtés.

Je remercie également, Denis Lecœur, conseiller municipal et correspondant Défense pour avoir pris en charge l’organisation de leur venue.
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Nous mettons ainsi un visage sur ces récits. Nous voulions ne plus juste réciter à la fin de mon discours les noms des morts de Villepreux tombés pour la France.

Nous voulions que vous puissiez les voir. Nous voulions montrer le visage du Caporal Charles Ancelin disparu au combat le 9 mai à l’âge de 26 ans. Le combat fut déclenché à 4h du matin, les soldats sont décimés par le tir des mitrailleuses et des grenades, coincés dans les fils de fer barbelés.

Nous voulions montrer le visage du Caporal Robert Deligny tué le même jour dans les tranchées du Labyrinthe.

Nous voulions montrer le visage de Louis Ancelin disparu le 16 mai à 29 ans lors d’une offensive à Notre Dame de Lorette. 

Et celui du sergent Marcel Lesenne tué le 16 mai également à 22 ans en bas de l’Eperon de Lorette. La position du régiment fut repérée par les avions allemands et bombardée plus violemment que jamais. Les compagnies sont restées 5 jours et 5 nuits sans liaison ni ravitaillement.

Nous voulions montrer le visage d’Alexandre Ruellan tué à l’ennemi le 17 juin à l’âge de 33 ans dans les combats de Saint Nicolas. A 2h30 l’ordre fut donné au 3ème bataillon d’attaquer mais les Allemands surveillaient les mouvements, ils tuèrent tous les hommes sortant de la tranchée.

Nous voulions montrer le visage d’Albert Bauguin disparu à l’âge de 30 ans le 25 septembre dans les travaux de sape du 3ème régiment du génie.

Nous voulions montrer le visage des anciens élèves de l’école d’horticulture Le Nôtre à Villepreux.

Nous voulions montrer le visage de Château Marcel disparu aux combats de Neville St Vaast le 10 mai à l’âge de 23 ans.

Nous voulions montrer le visage d’Auguste Mestric tombé lors de la prise du cimetière de Carency le 11 mai à 23 ans également.

Celui de Narcisse Gruau tombé le 16 juin dans les tranchées du Labyrinthe également. Nous voulions montrer le visage de Félix Jacob enfin mort à 30 ans le 25 septembre aux alentours du Bois de la Folie.

Nous voulions montrer le visage d’Eugène Cherrière tué à l’ennemi le 6 octobre à l’âge de 30 ans lors des combats de Trévin Capelle Souchez.

Il fallait s’emparer du château de la Folie sous un brouillard intense le 5 octobre, le lendemain, les bombardements ennemis violents sur les tranchées en première ligne décimèrent les soldats les uns à la suite des autres.
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Nous voulions montrer un visage pour ces 6 Villepreusiens et ces 5 anciens élèves de l’école Le Nôtre.

Nous voulions montrer un visage pour ces 1,4 millions de soldats français morts et disparus durant cette guerre.

Nous voulions montrer un visage pour tous ceux qui racontèrent ce qu’ils avaient vu en cette année 1915 : « Sur un secteur ruiné, dévasté, retourné de toutes manières, le ciel ne cessa de verser des torrents d’eau. L’argile fendillée s’écroula. En moins de 8 jours, il n’y eut plus un boyau, plus une tranchée. Les abris s’effondraient sur leurs occupants angoissés. L’enlisement sévissait. Des cris la nuit, puis plus rien : un homme venait de s’enterrer vivant. Aucun secours possible. ». 

Nous voulions montrer un visage pour les soldats de la 3ème compagnie du 74ème RI qui reçurent en récompense à leur attitude au feu, la citation à l’ordre de la Xème armée : « Ayant reçu l’ordre de se porter à l’attaque d’une tranchée ennemi la compagnie est sortie d’un seul bond au commandement de son chef, elle s’est élancée impétueusement à l’assaut en chantant la Marseillaise. Elle a pénétré dans la tranchée ennemi, s’en est emparée et a organisé la position conquise malgré un feu très violent. ».
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Nous voulions montrer un visage pour tous ces hommes, tous ces soldats, tous ceux qui se sont battus pour la France et pour la liberté.

Nous voulions montrer un visage pour tous ces soldats massacrés, disparus et oubliés.

Ils étaient des hommes comme nous avec les mêmes envies, les mêmes rêves, les mêmes amours.

Beaucoup ne seront jamais cités dans les livres d’Histoire mais ils ne sont pas un bilan, des données chiffrées ou des statistiques.

Ils étaient comme nous, ils aimaient leur pays, ils avaient leurs rêves, ils voulaient vivre, ils sont avec nous ce matin.

Vive la République.
Vive la France.
Vive la mémoire de chacun d’entre eux.

Stéphane Mirambeau
Maire de Villepreux