vendredi 8 mai 2015

Allocution commémoration armistice du 8 mai 1945


Le 8 mai restera toujours une date particulière.

Et cette année, au-delà de la seule commémoration de l’armistice de la seconde guerre mondiale, nous célébrons le 70ème anniversaire de la libération des camps de concentration.
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Je devais donc ce matin vous parler de ces camps monstrueux, de ces choses innommables, de ces événements qui ont déshumanisé notre civilisation.

Je voulais vous parler du mardi 27 janvier 2015.

Ils étaient des centaines de rescapés présents ce matin-là à Auschwitz.

Ils replongeaient dans l’horreur de ce qu’ils avaient vécu il y a 70 ans.

Ils s’arrêtèrent devant le mur de la mort, à l’endroit où des milliers de détenus furent fusillés.

Ces rescapés trouvèrent la force de témoigner des horreurs passées.

Ils restent notre mémoire mais pour combien de temps encore ?

Lorsqu’ils se seront tous éteints, lorsqu’ils seront tous disparus, nous devrons reprendre le flambeau de l’Histoire en perpétuant à jamais le souvenir de ce qu’ils ont vécu.
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Et cette transmission comprendra le rappel des noms des 6 camps d’extermination, ceux qui servirent à l’exécution massive et industrialisée d’êtres humains dont une écrasante majorité de Juifs : Auschwitz-Birkeneau : 1.100.000 morts, Belzec : 600.000 morts, Chelmno : 340.000 morts, Madjanek : 80.000 morts, Sobbibor : 250.000 morts et Treblinka : 1.000.000 morts.

Elle comprendra également le rappel de toutes les structures d’anéantissement et de mort conçus et créés par les nazis : 1.150 ghettos juifs, 30.000 camps de travaux forcés, 980 camps de concentration, 500 bordels dans lesquels les femmes étaient des esclaves sexuelles et plusieurs milliers de «centres de soins» dans lesquels les femmes enceintes subissaient un avortement forcé, les nouveau-nés tués, les handicapés et vieillards assassinés.
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Mais cet anniversaire ne peut pas se suffire du seul rappel de ces éléments chiffrés.

Il doit aller au-delà et la transmission ne devra rien occulter, elle insistera également sur la responsabilité immense des pays alliés dans l’avènement d’Adolf Hitler.

Tout était écrit, tout était préparé, tout aurait dû être prévu, tout aurait pu être évité.

1933, l’année qui aurait pu permettre de tout arrêter.

1933 ou l’incendie volontaire du Reichstag orchestré par les nazis dans la nuit du 27 février et l’arrestation, dès le lendemain, de 4.000 militants du parti communiste et de nombreux leaders de gauche. Beaucoup seront assassinés ou déportés.

1933 ou l’abolition des libertés fondamentales et la dissolution des partis politiques et des syndicats.

1933 ou l’installation du régime de la terreur sous l’action des Sections d’Assaut, de la garde rapprochée du régime nazi et d’une police d’Etat nouvellement créé, la Gestapo.

1933 ou la création de Dachau, le premier camp de concentration.

1933 ou la déportation en masse des communistes, des fonctionnaires et des opposants de tous bords.

1933 ou l’interdiction du mariage entre Juifs et Aryens.

1933 ou la loi de stérilisation qui témoigne de la volonté de l’Allemagne de perfectionner physiquement la qualité de la race.

1933 ou la nuit d’autodafé durant laquelle des étudiants nazis brûlent pêle-mêle en public des milliers de livres identifiés comme « mauvais ».

1933 ou la fin de la participation de l’Allemagne à la Société des nations.

1933 ou l’instauration d’une dictature dont le socle reposait sur un gigantesque programme de conquêtes militaires.

1933 ou l’année durant laquelle aucun pays ne réagit.

Nous étions 6 ans avant le début de la plus grande tragédie de notre civilisation.

Tout aurait pu être différent si certains avaient eu la clairvoyance et le courage nécessaires pour dire simplement « non ».
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Alors, les historiens pourraient nous expliquer que personne n’eut le temps de réagir devant la vitesse des mesures et des décisions.

Nous leur répondrons que 1933 ne fut qu’une étape, peut-être la plus importante et que tout s’accéléra au cours des années suivantes.

Le 16 mars 1935, Hitler viole pour la première fois de manière flagrante le traité de Versailles, rétablit le service militaire obligatoire et porte les effectifs de la Wehrmacht à 500.000 hommes.

Aucun pays ne réagit, certains deviennent mêmes complices.

Le 7 mars 1936, Hitler viole les accords de Locarno et remilitarise la Rhénanie. Face à des adversaires encore plus faibles, ni les Français, ni les Britanniques ne s’opposent à cette action, préférant ne pas réagir. Hitler menace alors la Tchécoslovaquie en exigeant l’annexion au Reich des Sudètes. La Tchécoslovaquie pourtant alliée de la France ne pourra pas compter sur son soutien, Paris souhaitant absolument éviter le conflit militaire, incitée pour cela par le refus britannique de participer à une éventuelle intervention.

Le 29 septembre 1938, Adolf Hitler, le président du Conseil français Édouard Daladier, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain et le Duce italien Benito Mussolini, réunis dans la capitale bavaroise, signent les accords de Munich. La France et le Royaume-Uni acceptent que l’Allemagne annexe les Sudètes, pour éviter la guerre. Honte à ceux qui ont souhaité ces accords, honte à ceux qui les ont signés.

Honte à Neville Chamberlain déclarant alors ce mot fameux : « Hitler est un gentleman ».

Honte à ceux qui n’écoutèrent pas Winston Churchill qui déclarait alors : « Entre le déshonneur et la guerre, vous avez choisi le déshonneur. Et vous allez avoir la guerre ».

Honte à ceux enfin qui acceptèrent que dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, la Nuit de Cristal, prémices de la Shoa, conduisit à la destruction de près de deux cents synagogues et lieux de culte juifs détruits, 7.500 commerces et entreprises exploités par des Juifs saccagés, une centaine de Juifs assassinée, des centaines d'autres morts des suites de leurs blessures et 30.000 déportés en camp de concentration.

Aucun pays ne réagit mais il était alors beaucoup trop tard.
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Durant 6 ans, nous savions de quoi Hitler était capable et ce qu’il avait déjà fait.

Durant 6 ans, nous avions toutes les informations pour décider.

Durant 6 ans, nous aurions pu agir, nous aurions pu les sauver.

Nous avons décidé de ne rien faire et participé ainsi passivement, par notre inaction coupable, à la déportation et la mort de 5.800.000 Juifs.

Au lieu de les défendre, nous acceptions béatement la barbarie nazie.
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Mais tout cela est derrière nous, nous savons que nous aurions dû agir différemment et nous avons reconnu nos erreurs.

Nous sommes tous convaincus que nous saurions réagit différemment.

Transmettre pour ne pas oublier, ne pas oublier pour ne pas reproduire.

N’est-ce pas cela que nous défendons depuis la première commémoration de cet armistice ?
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En juillet 2014, plus de 270 personnes ont été tuées, la plupart exécutées, par les miliciens de l’Etat islamique lors de la prise d’un gisement de gaz en Syrie.

Le 6 avril 2014, Al-Qaïda en Syrie s’amuse à tuer simplement des gens innocents dans la ville de Raqqa.

Août 2014, des djihadistes tuent au moins 80 personnes dans un village du nord de l'Irak.

Le 3 novembre 2014, 200 membres d’une tribu sunnite sont massacrés par les djihadistes de Daech.

Aucun pays ne réagit.

Décembre 2014, les corps de 230 personnes exécutées par Daech ont été découverts par leurs proches dans une fosse commune dans la province syrienne de Deir Ezzor.

Janvier 2015, 13 enfants sont assassinés juste pour avoir regardé un match de football.

Février 2015, Daech diffuse une vidéo montrant la décapitation au couteau de 21 hommes, la plupart des Egyptiens de confession copte.

Au même moment, 16 autres hommes sont abattus à bout portant sur fond de désert.

Mars 2015, Daech tue 142 personnes dans un quadruple attentat au Yémen.

En avril 2015, dans une nouvelle vidéo, Daech diffuse l’exécution d’une trentaine d’hommes, présentés comme des chrétiens éthiopiens, par des djihadistes en Libye.

Le même mois, une attaque est menée par le groupe islamiste somalien à Garissa, dans le Nord-Est du Kenya, et fait 147 morts.

Toujours en avril, le groupe terroriste détruit plusieurs sculptures et œuvres antiques dans un musée irakien pour imposer leur idéologie.

Aucun pays ne réagit.
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Certains racontent alors ce qu’ils ont subi des hommes de l’Etat islamique : « Les hommes de Daech ont entassé tous les habitants de mon village dans des bus à destination de la Syrie. J’étais enceinte de neuf mois, j’étais avec mon mari et mes cinq enfants. 
Nous sommes arrivés près d’Alep, et là-bas, ils nous ont enfermé dans une école, ils ont pris tous nos bijoux, notre argent, nos pièces d’identité.
Le septième jour, les hommes et les femmes ont été séparés. lls ont emmené mon mari et mes fils aînés. Les femmes sont envoyées à Mossoul.
Nous avons demandé où étaient nos hommes, les geôliers nous ont répondu qu’ils les avaient tués et enterrés au bulldozer.
Puis ils nous ont à nouveau triées, les femmes mariées d’un côté et les jeunes filles de l’autre. Des hommes venaient par groupe de dix ou quinze pour choisir des filles, ils disaient qu’ils allaient les garder pour eux et ensuite les revendre. Leurs chefs sont passés les premiers et ont choisi les plus belles. Ils emmenaient même des fillettes de dix ans.
Le quatrième jour, on m’a arraché ma fille aînée. Elle s’agrippait à ma robe en pleurant. Ils l’ont emmenée de force. Les filles qui avaient été choisies hurlaient, ils les traînaient par les cheveux, certaines appuyaient l’arme de leurs geôliers sur leur front en demandant qu’on les tue.
Leur but était de ne laisser aucune fille vierge. L’une d’elle a demandé la permission d’aller aux toilettes. Là, elle s’est pendue avec son voile à un crochet de métal. »

Tout cela ne vous rappelle-t-il rien ? Avons-nous bien appris de notre Histoire ? Sommes-nous si différents de nos ainés ?
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Même si les terroristes islamistes sont volontairement façonnés selon une mécanique identique à celle qui a amené au régime nazi, je ne ferai aucun parallèle historique sur les fondements mêmes de leur création.

J’insisterai seulement sur l’inaction coupable des pays démocratiques devant ces massacres et ces exactions.
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Beaucoup diront alors que ce n’est pas la même chose, que c’est différent, que rien n’est pareil, que tout cela est trop loin.

D’autres diront qu’il n’est pas possible d’intervenir.

D’autres baisseront la tête et ne prendront aucun risque. Et dans quelques années, nous regarderons en arrière et j’espère alors que nous n’aurons jamais à dire : « Et pourtant nous le savions. ».

L’Histoire retiendra les noms des dirigeants qui n'ont pas bougé le petit doigt devant ces massacres et ces tueries.

Elle devra se rappeler ceux qui n’ont rien fait.

Le combat contre Daech doit aller au-delà de la bonne conscience consistant à tirer quelques missiles. 

La bonne conscience est la force des faibles, elle conduisit à l’acceptation du parti nazi, elle conduit aujourd’hui à accepter que des peuples soient massacrés au nom d’une religion.

Transmettre pour ne pas oublier, ne pas oublier pour ne pas reproduire.

Cela n’aura jamais autant d’actualité une nouvelle fois aujourd’hui.