mercredi 11 novembre 2009

Allocution cérémonie de l'armistice de la première guerre mondiale, 11/11/2009

Au moment même où débute mon discours, dans toutes les communes de France, nombreux comme nous reproduisent ce que leurs ainés ont fait auparavant, en s’inclinant devant le monument aux morts, pour rendre une nouvelle fois hommage et refuser d’oublier.

La première guerre mondiale s’arrêta le matin du 11 novembre 1918 à 5h15 dans la forêt de Compiègne.


Lorsque cessèrent les canons, à 11h00 précises, sur tous les champs de bataille d’Europe, cinq années d’une guerre totale prenaient fin en une seconde, cinq années d’une guerre terrible et d’un bilan effrayant :

  • 65 millions d’hommes mobilisés, 9 millions de morts, soit 6.000 morts par jour, 21 millions de blessés, 4 millions de veuves, 8 millions d’orphelins,
  • Pour la France, 1.400.000 tués et disparus,
  • Et puis les gueules cassées et puis les mutilés.
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A côté de la ferveur des Français qui fêtaient l’armistice, certains n’arrivaient pas être heureux, ils ne criaient pas, ils ne dansaient pas.

Ils ne parvenaient pas à oublier les horreurs des tranchées, les massacres de leurs compagnons, les ordres absurdes qui les menaient à la mort.

Ils ne parvenaient pas à oublier les soldats gazés, les corps déchiquetés par la mitraille, les amis enterrés vivants dans un champ de la Meuse ou de la Marne.

Ils souhaitaient oublier ce qu’ils avaient vécu et ne demandaient en échange de leur bravoure qu’une chose à la France entière, celle de se souvenir de ces horreurs et de la raison qui avait pu mener notre pays et le Monde dans cette situation.

Ils ne demandaient pas qu’on leur rende hommage tous les ans, ils souhaitaient juste ne plus avoir jamais à vivre ce drame de nouveau.

Alors, on les fêta, on les remercia mais personne ne les écouta.

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A peine sorti de la guerre, le devoir de mémoire donnait immédiatement la place au devoir de vengeance.

Il était si facile de se venger, d’humilier et de rabaisser l’autre lorsqu’on sort vainqueur. Il était plus difficile de vouloir reconstruire un avenir commun.

La guerre était dure, la réconciliation peut-être plus difficile encore.

Il fallait tendre la main à ses ennemis d’hier, elle ne fut pas tendue.

Il fallait ouvrir les bras pour envisager la suite, ils restèrent croisés.

Personne n’écouta les anciens en préférant ne voir dans le devoir de mémoire que celui du souvenir de la bataille et du sang.

En mettant l’orgueil et la fierté comme principes de l’après-guerre, le second acte de l’horreur se préparait déjà et donna naissance à un drame encore plus grand, celui de la deuxième guerre mondiale à peine 20 ans après la fin de la première.

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Mais une fois terminée, une fois le 8 mai 1945 passé, rien ne fut comme auparavant.

Le devoir de mémoire donna naissance au devoir d’espérance.

La France rejeta la haine, l’orgueil, la fierté, la France avait appris de ses erreurs, elle avait appris ce qu’il ne fallait plus faire.

A côté de la nécessité de célébrer ses combattants et ses morts, elle comprit ce que devaient être le devoir du pardon et le devoir de la paix.

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Alors le sursaut de conscience et d’espoir donnèrent lieu à la fondation de l’Organisation des Nations Unies dès 1945, à l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948 et au début de la construction de l’Europe en 1950.

Alors que tout au long du 20ème siècle, il n’y eut pas de nations dans le monde qui se soient autant affrontées que la France et l’Allemagne, la fraternité entre ces deux pays s’est construite peu à peu.

Il y eut la réconciliation franco-allemande, il y eut Robert Schumann, il y eut le Chancelier Adenauer et bien évidemment, le Général de Gaulle.

Il y eut sûrement l’une des plus belles images, l’une des plus fortes, celle de la construction européenne, celle de François Mitterrand et d’Helmut Khôl, le 22 septembre 1984 à Verdun, qui main dans la main montrait juste en un instant ce qu’était la tristesse d’une commémoration et l’espoir de construire une histoire commune.

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Nous avons su ainsi pardonner, nous avons su ainsi construire, nous avons su grandir pour aujourd’hui avoir muri assez fortement pour refermer l’histoire de cette guerre par, peut-être, le plus beau des symboles.

A l’heure où je prononce mes mots, le Président de la République et la Chancelière Allemande, réunis à Paris, rendent hommage conjointement aux morts et aux combattants de la première guerre mondiale. Ils consolident ainsi encore plus fortement les liens forts et durables que la France et l’Allemagne ont scellés tout au long du 20ème siècle.

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L’important n’est plus désormais le nombre de morts tombés lors des batailles tragiques de Verdun, Douaumont et du Chemin des Dames.

Le plus important est de dire à nos anciens combattants tout notre reconnaissance de leur sacrifice et de leur souffrance. Ils ont permis à la France de grandir et à nos consciences de murir.

Alors, nous n’oublierions jamais, nous ne renierons rien car la mémoire est notre seul instrument, elle devra rester vivante, elle devra se transmettre à nos enfants qui à leur tour la transmettront à leurs enfants, elle est la seule garante de la paix, elle est leur seul salut.

C’est l’unique possibilité que nous ayons, le seul devoir qui doit être le notre, l’unique raison d’être ce matin réunis encore une fois devant ce monument.

Au-delà du sang, au-delà des larmes, au-delà de la mort et des combats, nos soldats, ces Français, ont permis que nous soyons là ce matin, ils ont permis à chacun d’entre nous de vivre et de croire en un avenir sans guerre, c’est cela peut-être le plus beau des hommages que nous pouvons leur rendre ce matin.

Leur dire simplement qu’ils ne sont pas battus pour rien, ils ont combattu juste pour que nous prenions conscience, un matin, de l’importance de la vie.